Témoignage de Bertrand

Ce que j’aimais, à l’école, lorsque je patientais entre ses quatre murs, c’étaient les fenêtres. Ces grandes croisées donnant sur un dehors tellement vaste qu’il n’a pas d’horizon. J’aimais aussi ses symboles, les leçons de géographie, que je recevais comme des bouffées d’un air vital, salutaire, essentiel. Pendant ces heures bénies, une promesse d’idéal qui se nomme Liberté m’ouvrait les bras et m’appelait, je m’en souviens encore, par mon prénom. Bref, j’avais une envie viscérale de foutre le camp, voilà.

Quel est le prix de la Liberté ?

D’ailleurs, la Liberté a-t-elle un prix ? Incontestablement, pour m’en être acquitté, je peux aujourd’hui répondre « oui »

Dans sa réalisation matérielle, la liberté avait pour moi la forme d’un bateau avec lequel j’ai pris la mer pendant quelques années,  qui ont incontestablement été les plus belles de ma vie. Imaginez : une vie libre, détachée de toutes contraintes terrestres. Finis les horaires imposés, les échéances financières récurrentes, les exigences administratives, oubliés les impératifs professionnels. Le rêve, quoi !

Tout entier occupé à déguster ce rêve, à me rassasier d’une liberté enfin apprivoisée, j’en avais oublié que même au milieu de l’océan, la réalité  finit toujours par nous rattraper.  Lorsque la caisse de bord fut vide, que les économies se furent noyées, que ma caisse de pension imprudemment confiée à un banquier se mit à fondre comme neige de printemps, j’ai dû me résoudre à revenir à la case départ, les poches vides et le vague à l’âme. Or retrouver un travail à plus de 50 ans, pour beaucoup d’entre nous,  c’est une mission impossible. Trop vieux, dépassé, plus assez performant. Le marché de l’emploi a fermé ses portes, le match est terminé, votre place est sur le banc de touche. « Si vous ne trouvez rien, Monsieur Freymond, allez donc vous inscrire au social ! ».

Les verdicts sont toujours douloureux.

Dans ces moments-là, attention à ne pas céder au découragement. Le pire qui peut vous arriver, c’est d’ouvrir les vannes à cette résignation qui lessive tout, les rêves, les enthousiasmes, les bons souvenirs, la joie de vivre…

Il paraît que les tensions et les épreuves sont génératrices de force et donnent à l’homme sa pleine mesure. Je veux bien. N’empêche qu’il est difficile d’entrevoir une planche de salut à laquelle s’accrocher lorsqu’on est au cœur même du naufrage.

S’accrocher, non pas à ce qui n’est plus, mais à ce qui reste, même si ce n’est qu’une petite phrase jetée au détour d’une conversation. « Tu as déjà pensé à t’intéresser au Marketing Relationnel ? »

– Tu rigoles ? J’étais enseignant, je ne sais rien faire. Et surtout pas vendre des produits de santé.

– Qui te dit de vendre quoi que ce soit ?

La suite, on peut aisément l’imaginer. L’espoir qui revient à grandes brides, des rencontres qui s’enchaînent, des découvertes toutes plus enrichissantes les unes que les autres, quelques déceptions, bien sûr, des déconvenues, mais au final, une activité qui vous laisse libre de mener votre barque à votre guise, d’accepter ou refuser les voyages qu’on vous offre, de mettre en œuvre vos propres ressources et moyens qui vous permettront d’accéder à l’indépendance financière…

Et retrouver le gout de la Liberté, cela n’a pas de prix.